Santé – Travail : ’’Mesure pour Mesure’’

Santé – Travail : ’’Mesure pour Mesure’’ …

Anne-Marie de Vaivre,
co-fondatrice et animatrice du Cercle Entreprises et Santé,
DA TITANE ITCWS ;
Vice-Présidente de l’IAS, Institut International de l’Audit Social

Parmi les travaux et réflexions du Cercle Entreprises et Santé[1] depuis une dizaine d’années, trois tendances lourdes – signaux faibles au départ -, se sont imposées dans le contexte « santé-travail », et façonnent désormais les impérieux besoins de mesure / de données pour les programmes et pratiques d’avenir :

« One Health – Santé Globale » : nos études en 2016-17 montraient déjà une porosité, une convergence croissante des enjeux, responsabilités et vécu entre ‘santé-travail’, ‘santé publique’, ‘santé-environnement’ dans les perceptions et les attentes des salariés et citoyens. Comme ensuite progressivement dans les prises en compte des RH et des fonctions management – pour lesquels il y a dix ans les questions de santé n’étaient souvent pas prioritaires.

Constatée par nous en 2017, cette tendance lourde de refus latent, puis patent, des segmentations-santé en silos, tendance d’aspiration à une santé globale s’est consolidée en 2020-2021 avec les effets de la pandémie mondiale et ses répercussions sur les personnes au travail, les collectifs et les organisations, et les prises de consciences et mises en responsabilités croissantes des managers et des RH face aux demandes de leurs salariés et co/sous-traitants.

Prévention : corrélativement, les thématiques et besoins de prévention se sont affirmés de plus en plus clairement et largement, au-delà des cercles des seuls responsables sécurité et ergonomie.

Présente fort anciennement et durablement dans les préoccupations et programmes Sécurité / HSE de nombre d’entreprises, particulièrement industrielles, la Prévention est sortie de sa polysémie et connotation ancienne pas toujours positive de « prévenue », pour aller plus largement et positivement vers l’analyse de risques et l’anticipation, diffusant vers des fonctions et responsabilités de plus en plus nombreuses : RH, Environnement de travail, Relations sociales RSE, Risk-Management, …, incluant de plus en plus systématiquement la prévention et la prévention santé dans leurs politiques et leurs programmes.

En matière de prévention aussi, la pandémie 2020-2021 et la lumière crue mise sur les risques sanitaires pour toutes activités professionnelles et plus encore pour les métiers de première ligne, semblent avoir levé la relative commisération qui s’attachait antérieurement à la prévention et à ceux qui la portaient. Dans les plans nationaux Santé Travail Santé Environnement, la Prévention est devenue une grande cause nationale. Elle revient institutionnellement en 2021 encore plus fortement légitimée dans l’univers de travail, avec la Loi Prévention et Santé Travail, récemment votée, et en attente de ses décrets d’application à l’automne 2021.

Prédictivité : la 3^e tendance forte que nous avons détectée, en matière de santé et de médecine, et plus généralement de maîtrise des impacts, est celle de la prédictivité. Inscrite dans les dynamiques médicales avancées depuis les premières années 2000, – notamment en médecine cardio-vasculaire « Médecine 4P » (Prédictive, Préventive, Personnalisée et Participative – on pourrait d’ailleurs presque dire ‘5P’, le 5^e P étant celui de la Proactivité, au service du bien-être et de l’épanouissement, – et pas seulement de l’évitement ou du traitement des pathologies), la prédictivité (…de la survenue des pathologies, des chemins critiques pour les éviter, des scénarios d’anticipation et de traitement) .. s’est affirmée comme une impérieuse nécessité non seulement au niveau individuel / personnel, pour prévenir les maladies et promouvoir l’état de bien-être, mais aussi au niveau collectif, pour permettre de définir des programmes de prévention efficaces, et ciblés : par métiers, par tranches d’âge, par filières, par types de situations de travail, par comorbidité …

E C’est dans ce contexte, et aussi dans celui des avancées désormais boostées des technologies, – les capteurs, les exosquelettes, les objets et vêtements connectés, …comme aussi par les possibilités d’exploitation des données massives – en intelligence de collecte et de mobilisation des data comme en algorithmes de traitement et d’exploitation, que se pose aujourd’hui le besoin de mesure et de données sur le travail et ses incidences sur la santé et le capital humain.

C’est pourquoi nous saluons des initiatives pionnières comme celles de Yonnel Giovanelli à la SNCF, et celles des start-up qu’il fédère et incite à se dépasser, en recherche des « bonnes solutions » pour mieux objectiver les mesures rationnelles et perceptives des risques, des situations de travail et de leurs impacts sur la santé, dans la mise au point et l’utilisation des innovations.

En univers de travail, les solutions technologiques sont là, les capteurs santé / environnements de travail sont prêts, s’allègent, s’apprivoisent, prêts à transformer les mines de résultats de mesure ponctuelles, opérationnelles sur les situations de travail, les postures, les efforts biomécaniques, les tensions, le stress …, en data elles aussi opérationnelles qui vont pouvoir fonder des programmes de prévention incroyablement précis et ciblés.

Des facteurs ‘empêchants’ demeurent cependant, à élucider et lever, en vraies considérations prospectives, et en vraies considérations éthiques.

Depuis le 1^er juillet 2021, de facto, tous employeurs se trouvent en contravention à la Loi (Loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé) qui leur prescrivait de verser avant cette date toutes données contenues dans les « Dossiers Médicaux en Santé Travail » de leurs personnels dans le DMP, dossier médical partagé ouvert théoriquement pour tout un chacun… DMP officiellement disparu à cette même date 01 07 2021 !

Il est a espérer que la généralisation au 1^er janvier 2022 d’un Espace Numérique de Santé pour tous les français, et donc pour tous les travailleurs sur le sol français, contribuera à rendre actives, et porteuses toutes ces données accumulées.

Dans la voie du développement des données prédictives en matière de santé-travail, nombre de possibilités s’ouvrent, et nous nous engageons activement au Cercle à contribuer à les faire éclore et à les faire connaitre, notamment via nos UX-Forum® Innovation, en mobilisant les meilleurs experts en entreprises, en laboratoires universitaires et en start-up : par exemple pour le développement de « jumeaux numériques médicaux », aussi au regard de pathologies professionnelles avec la Pr Stéphanie Allassonnière, ou encore avec le Pr Pierre-Antoine Gourraud/ CHU de Nantes pour des « données mimétiques » en Santé Travail, respectant totalement et de façon irréfragable le principe d’anonymat et de confidentialité des données.

« Mesure pour Mesure »[2] : des programmes expérimentaux innovants sont nécessaires, aidons à les élaborer, les nourrir, les mettre en œuvre, et en diffuser les résultats !

[1] Innovation – Santé – Travail – Ethique – Responsabilité : la mission du Cercle Entreprises et Santé, think-tank / do-tank créé fin 2006, est de contribuer à éclairer l’avenir de la relation au travail – l’avenir du travail -, au fil et au spectre de ses impacts sur la santé / de ses appels en ressources santé : santé personnelle et santé collective, santé dans tous ses états, physique, biomécanique, psychologique.. www.cercle-es.com

[2] « Mesure pour Mesure » : La pièce de Shakespeare, (1604) est quelque part une réflexion sur l’observation (généralisée..) des principaux protagonistes entre eux, pour la plupart détenteurs de pouvoir. C’est aussi une réflexion sur le pouvoir régalien de la mesure : garantir la fiabilité des poids et mesures était, et est toujours une prérogative régalienne. Tout est-il mesurable ? et à quel prix ?

_______________________________________